PHILOSOPHIE ET LIBÉRATION (*) Paul Ricoeur (Paris- França) J`ai intitulé mon intervention Philosophie et Libération e non Philosophie de la Libération, afin de ne pas préjuger de l`issue de la confrontation entre ces deux termes; je tiens donc leur lien pour problématique. A cette réserve je donne deux raisons: d`abord, même si on admet que toute philosophie a pour fin ultime la libération, ce terme a reçu plus d`une signification au cours de l`histoire, comme en témoigne la philosophie de Spinoza, dans laquelle le troisème genre de connaissance est tenu pour la libération par excellence de l`imagination et des passions. Deuxieme raison ; ce n`est pas seulement la thématique de la libération qui es problématique, mais ce sont aussi les situations à partir desquelles ces thématiques son exposés et déployées: ainsi les philosophies latino-américaiens de la libération partent d`une situation précise de pression économique et politique que les confrontent directement aux Etats-Unis dÀmérique. Mais, en Europe, notre experiénce princeps, c`est le totalitarisme, sous sa double figure nazie et stalinienne: huit millions de juifs, trente ou cinquente millions de soviétiques sacrifiés. Auschwits et le Goulag. Quant à l`histoire récente - et en cours - de l`Europe centrale et orientale, apparttient aux séquelles de cette histoire monstrueuse. Or cette aventure est à tous égards une expérience de libération; en témoigne la chute des dictatures en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Grèce. Personne ne niera que ce soit là des experiénces de libération. Plusiers thématiques et plusieurs situations originales sont donc à prendre en considération. On peut parler à cet égard d`une pluralité d`histoires de la libération. La question est alors de savoir ce que l`une peut enseigner à l`autre ce que l`une peut apprendre de l`autre. Un corollaire me paraît ici important: les philosophies et les théologies de la libération ne peuvent plus s`ennoncer dans les mêmes termes aprés comme avant l`effondrement du totalitarisme soviétique et après l`echec de son économie administrée, prétendûment appelée socialiste et revolutionnaire. Si j`insiste tellement sur cette hétérogéneité des histoires de libération, c`est pour préparer nos esprits à admettre que ces experiénces sont non seulement diverses mais peut-être incommunicables; bien plus, que l`autocompréhension qui s'attache à l`une fait obstacle à la compréhension pléniére de l` autre, et qu`une certain différend est à cet égard peut-être insurmontable même entre nous. Je tenais à faire cette déclaration liminaire avant d`aborder le vif de mon sujet, qui sera philosophique plutôt que politique, même si la philosophie politique y tient une grande place, mais précisement en tant que philosophie. Le probléme que je voudrais soumettre à la discussion est celui-ci: qu'est-ce que la pensée occidentale apporte de meilleur ou de plus fort qui puisse contribuer à un débat dans lequel elle accepte de n`être que`un des partenaires? Seule est présupposée l`entente sur la recherche et l`écoute du meilleur argument selon l`ethique de discussion de Apel et Habermas. Car nous sommes ici par hypothèse dans le royaume du discours; même si nous ne nous y tenons pas toujours et s`il se poursuit dans un monde de luttes qui ne sont pas de discours, mais de force et de violence. Du moins ici discute-t-on; et on n`y fait rien de plus, ni rien de moins. I Je n`aborde pas directement la question de l`herméneutique et de la libération, à laquelle Domenico Jervolino et Enrique Dussel ont accord é une grande place. Je n`y viendrai que dans mes remarques finales. Je voudrais plutôt placer cette discussion, où je suis trop directement concerné, sur le fond d`une considération plus large, où l`accent sera mis sur celles des grandes thémathiques occidentales qui ont partie liée avec des expériences historiques de libération. Je me tiendrai dans les limites de la philosophie moderne, que Hegel oppose à celle des Anciens, en la définissant trés en gros comme philosophie de la subjectivité, par opposition à la philosophie de la substance, que c`est son ambition de réunir dialectiquement. En quoi ces philosophies de la subjectivité (de Descartes et Locke à Kant et Fichte) sont- elles liées, à la fois comme elles ont produit une conception indivisément éthique et politique de la liberté. J`en dirai tout à l`heure les limites, mais j`en marquerai d` abord la force, qui me fait dire que je n`ai pas honte de l`Europe. Je distinguerai trois composantes de cette conception éthico-politique de la liberté. 1 - D`abord, la critique du souverain et de la souveraineté conçu comme trancendance, en un sens religieux ou non. Cette critique de la souveraineté, démystifiée comme domination, est en prise sur des experiénces effectives de liberátion, illustrés par la formation des cités libres italiennes et flamandes, l`instauration et l`epa-nouissement du Parlement britannique, la Révolution française. A cet égard le contractualisme de Rousseau/Kant est à comprendre comme arme critique: tout se passe à leurs yeux comme si le pouvoir naissait d`un accord librement consenti de désaisissement de la liberté sauvage au bénéfice de la liberté civile. Une formidable force de subversion est ici conténue. Il existe en effet au coeur du pouvoir un point opaque, et autour de lui une aura quasi sacrée que Hannah Arendt aimait rapporter à la disticntion romaine entre potestas et autorictas: "Le pouvoir est dans le peuple, l`autorité dans le Sénat". On retrouve chez Spinoza, dans sa philosophie politique, une distinction comparable entre potentia et potestas. A la limite de cette mise à nu du pouvoir, celui-ci s`avère n`être que le vouloir vivre ensemble d`une communauté historique. Mais cette source est comme oubliée et ne peut sans doute être que symboliquement représentée à travers des instances superiéures qui, comme le mot auctoritas le suggère, "augmentent" la puissance publique défaillante. De là une lutte sans fin de réduction de la domination au pouvoir authentique, réduction à qui résiste une sacralité résiduelle qui se manifeste dans les accés de pouvoir personnel et en général dans la personalization du pouvoir. A quoi il faut ajouter l`aprentissage lent de la séparation du politique et du religieux, et, à l`interieur même du religieux, de la distinction entre la communauté écclesiales du peuple de Dieu et les instances autoritaires et hierárchiques qui l`encadrent. Cette premiére expérience historique ne va pas sans un paradoxe troublant: si la critique de la domination réussissait, le pouvoir mis à nu serait-il encore cru et craint? Il faut bien avouer que la démocratie est le premier régime politique qui se sait mal fondé, car toujours en train de se fonder. A cet égard, ce que la pensée occidentale a de meilleur à offrir, c`est la crise de ses notions fondatrices et critique, Peut-être est-e;;e la seule à être à la foie fondationelle et critique, je veux dire autrocritique. Ce propos n`est peu-être pas indifférent pour notre débat avec les philosophies de la libération, dans la mesure où celles-ci mettent l`accent principal sur la dimension économique de l`opression, plutôt que sur sa dimension politique. Je vois pour ma part la necéssité d`un avertissement sérieux. Si la citique de l'opression économique et sociale ne passe pas par la critique de la domination politique, et si l'on prétend aller à la libération économique par n'importe quel chemin politique, on se condamne à une vengeance terrible de l`histoire: le léninisme en est l'illustration sinistre. Il reste que pour l'Occident le passage par la libération politique esta apparu comme inéluctable, comme nous l'a continuellement enseigné la catastrophe tota- litaire. 2 - Je voudrais maintenant mettre l'accent sur la recherche et la crise de l'universel-concret dans la pensée et dans l'experience historique de l'Europe occidentale. C'est ici un problème qui dépasse et enveloppe le précédent, concernant la souveraineté de l'Etat. Il concerne la racionalité de l'experiénce historique. Pour introduire le problème, j'évoquerai successivement les écrits historico- politiques de Kant ( Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Conjecture sur les débuts de l'histoire de l'humanité, Projet de paix perpétuelle) et les Principes de la philosophie du droit de Hegel. La notion d'histoire universelle y est traitée comme idée régulatrice sous laquelle il est possible de penser l'humanité comme développant une unique histoire, et non comme constituant une unique espèce, bien qu'elle n'ait jamais réussi à produire une unique instituition politique. Or cette recherche de l'universel concret a été d'emblée le siège d'une crise spécifique. Pour en faire comprendre les enjeux, je suggére de transposer dans l'élément du langage la visée de l'universel que la philosophie kantienne et post-kantienne projette au plan rationnel. Le langage constitue un bon terrain d'exercice, dans la mesure où, d'une part, il n'existe que dans la pluralité des langues naturelles, et non d'autre part, il laisse apparaître son unité fondamentale à la faveur du phénomène d'universelle traductibilité. C'est a priori que nous posons que toute langue est traduisible dans toute autre langue. C'est la seule manière dont nous puissions affirmer l'universalité du langage. Eh bien, ce qui se passe au plan du langage, se passe aussi au plan moral et politique. Au plan moral, nous concevons facilement qu'un devoir n`est impératif que s'il peut d'une manière ou de l'autre être tenu pour universel; d'autre part, la vie moral n'existe que sous la condition de cette contextualisation culturelle que nous appelons les moeurs. Entre universalité du devoir et historicité des moeurs le déricherement persiste. Celui-ci se réfléchit d'ailleurs dans l'élément du langage, comme on le voit dans la discussion contemporaine autour de Rawls et Habermas. Le premier propose une conception purement précédurale de la justice qui ignore les conditions historiques de son effectuation. Le second projette, dans le cadre d'une pragmatique transcendentale, l'idée d'une "communauté ideale de communication", laquelle régit l'éthique du meilleur argument. Mais la question demeure de savoir quels contenus peuvent être donnés, et à cette idée purement procédurale de justice, et aux conditions de possibilité éxigées par la pragmatique transcendentale. Pour le dire très simplement: quels arguments échange-t-on dans une morale post-conventiOnelle'? N'est-ce-pas dans des passions, dans des sentiments, dans des intérêts, dans des conventions et enfin dans des convictions, que prennent forme ce que Kant aurait appelé les maximes de l'acction? Je voudrais insister sur le dernier terme de l'énumération précédente: celui de convictions. Car ce sont elles qui introduisent dans la discussion les conflits sans lesquelles il n`y aurait pas de problème de négotiation et d'arbitrage. A cet égard, les convictions nées de l'expérience historique la plus respectable engendrent des différents irréductibles. Il apparaît alors que la marque de l' universel ne peut être que dans la formation de compromis que retiennent le conflit sur la pente dangereuse de la guerre civile. Telle est à cet égard une des expériences majeures de l'europe occidentale: l'apprentissage de la gestion des conflits et l'invention de procédures de compromis. On m'objectera que tout n'est pas discours. Habermas n'a-t-il pas évoqué jadis le phénomène de "distorsion systématique de la communication" sous la pression de l'argent et du pouvoir? Cela est bien vrai; mais la m'édiation du discours, de la discussion et de l'argumentation, demeure notre seul recours. A cet égard, même s'il est vrai que le débat Nord-Sud est issu de relations de domination d'un autre ordre qu'éthico-politique, ce sera bien, un jour ou l'autre dans une negotiation que le conflit sera arbitré etraitté. Ou le dis- cours, ou la violence, enseignait naguère Eric Weil. La chaîne d'implication est ineluctable: de la practique de la négotiation à la logique de l'argumentation et ce celle-cí à l'éthique de la discussion. 3 - Je voudrais poursuivre dans un troisième registre, celui du droit et des institutions juridiques, cette crise de l'universel con cret, en me fixant sur l'idée régulatrice de justice. Le recherche de principes de justice a une longue histoire, marquée elle aussi de crises majeures. On pourrait dire, très en gros encore une fois, que la pensée juridique constitue la condition et l'horizon de la formation d'un Etat de droit et de la pratique du compromis évoquès dans les deux paragraphes précédents. Je nái pas seulement en vue le travail considérable de la raison à l'oeuvre dans l'élaboration du droit pénal ( proportionner le châtiment au délit ) mais aussi, et de façon intéressante, celle du droit civil ( réparer les dommages infligés à autrui par les effets d'une action déréglée). Nous sommes ici en effect à la naissance de l'idée de responsabilité, qui consiste en ceci que quelqu'un se tient prêt à rendre compte de ses actes, à en assumer les consequénces et ainsi se reconnait obligé de réparer les dommages infligés à autrui et de subir la punition de ses fautes tenues pour des ses fautes tenues pour des délits para la société. On ne peut être qu'impressioné par le formidable édifice juridique des codes issus de la pensée et de la pratique juridique (lois écrits, - tribunaux, - institutions de juges en tant qu'individus comme nous investis du pouvrir de dire le droit dans des circonstances particulières, - prononcé de la sentence, - monopole de la violence légitime). Dénoncera-t-on l'hypocrisie du droit? On le peut, certes. Des rapports de pouvoir et de violence ne cessent de s'y d'issimuler. mas, au nom de quoi les dénoncerait-on, sinon au nom d'une meilleure justice, d'une demande de juges plus indépendants et de intègres, bref dans l'attente d'institutions de justice davantage conforme à l'idée de justice? Or cette idée comporte sa critique interne et sa crise. Dès Aristote s'impose la distinction entre la justice arithmétique strictemente égalitaire, et la justice géométrique, proportionnelle au mérite, qui régit les partages inégaux. Cette distinction n'a cessé de s'imposer, dans la mesure où, en dépit de l'extension de la sphère de la justice égalitaire ( egalité devant la loi égalité du droit, y d'expression, de réunion, de publication, etc...), le problème de partages inégaux moins injustes que d'autres partages operés selon d'autres lois de distribution, demeure le paradoxe central de la justice social. Le problème rejaillit dans la Théorie de la justice de Rawls. Dans sa conception purement procédurale de la justice, celle d'un contrat social conclu sous le voile d'ignorance, l'idée de justice se brise en deux: justice civique et politique définie par l'égalité devant la loi, justice économique et sociale de partages inégaux régis par le principe dit du maximin, principe en vertu duquel toute augmentation du privilège des plus favorisés doit être compensé d'une diminution du désavantage des plus défavorisés; d'où l'expression de maximin: maximiser la part minimale. On voit tout de suite les difficultés: hétérogénéité des biens sociaux à distribuer, statut aléatoire de tout système concret de distribution, caractére tousjours contestable de l'ordre de priorité assgné à la satisfaction de tels biens aux dépens de tals autres (productivité, citoyenneté éducation, sécurité, santé, etc ...) De la querelle suscitée par ces difficultés résulte la bifurcation entre l'universalisme procédural et le contextualisme communautarien, qui caractérise la discussion contemporaine autour de l'idée de justice. On objectera que cette discussion ne concerne que les démêlés internes de la social-démocratie occidentale. J'accepte trés volontiers cette objection. Cette querelle est précisément ce que nous avons à offrir de mieux dans ce troisième registre de la politique de la liberté. Je suggére que c'est dans la mesure où nous aurons poussé le plus loin chez nous les ressources de la social-démocratie, avec ses contradictions et ses conflits, que nous poserons en interlocuteurs valables en face de protagonistes que auront choisi d'autres voies pour les développement (à l'encontre du schéma simpliste du développement linéaire et à la recherche d'un schéma arborescent du développement). Notre histoire complexe et confuse nous donne seule le droit de mettre en garde nos compagnons de discussion contre la tentation de tout rac- courci historique; Rawls à cet égard est d'une fermeté exemplaire: on ne saurait faire l'économie du premier principe de justice - l'égalité civique et politique devant la loi-et s'attaquer par n'importe quel moyen politique au problème de la justice économique et sociale. L'égalité devant la loi esta la condition politique de la libération économico-sociale. On bute encore une fois sur l'erreur tragique du léninisme. Au terme de cette premiére partie je voudrais insister sur les équivoques du terme libération. Comme je l'ai dit en commençant il y a plusieurs histoires de la libération qui ne communiquent pas. Si l'Amérique latine est confrontée à un probléme spécifique que s'inscrit dans le cadre plus général des rapports Nord- Sud, l'Europe est l'héritière de luttes qui ont culminé dans la liquidation des totalitarismes illustrés par les mots gulag et Auscwitz. Cette histoire constitue-t-elle un obstacle à la compréhension des projets de libération latino-américaine? Faut-il que les européens avouent que le totalitarisme qui affrontent les latino-américains est d'une tout autre nature que celui que nous avons connu en Europe? Faut-il admettre que dans le Tiers-monde on peut attendre encore du socialisme ce que nous avons cessé d'en attendre en Europe? Ces questions doivent demurer ouvertes. Mais les réserves et les silences qui s'imposent ne doivent pas nous empêcher d'avertir nos amis qu'ils doivent eux aussi tirer toutes les leçons de l'echec de l'économie administrative en Europe de L'Est, ni nous empêcher de plaider pour la liberté politique, comme condition incontournable de tout accroissement de productivité technologique et économique et ainsi comme composante de la libération économique et sociale. II C'est sur cet arrière-plan que je voudrais replacer la querelle herméneutique-libération, où je suis davantage concerné. Ici, j'insisterai plus sur les problèmes que sur les solutions (la mienne entre autres). Pour l'essentiel, je suis d'accord avec Domenico Jervolino. C'est à la lumière de sa contribution que je reprendrai quelques problèmes posés par l'ami Dussel. Il est vrai que la problématique herméneutique paraît au premier abord extraordinairement éloignée de la problématique de la libération, en quelque sens que ce soit. N'est-ce pas de l'enfermement dans les textes que nous partons ici? Je voudrais plaider, avec beaucoup de modération, pour la légitimité de la transition textuelle, jusque dans le situations qui on pour enjeu la libération. C'est d'abord à la faveur générale d'une inscription, dont l'écriture est l'expression la plus remarquable, que l'experience passée de nos prédécesseurs vient à nous sous la forme d'héritages reçus, de traditions transmises; c'est, ensuite et encore, sous la forme textuelle que se fondent les grands échanges entre le passé des traditions et le futur de nos attentes le plus vives, parmi lesquelles il faut compter nos utopies. J'ajouterai encore que l'herméneutique consiste en elle-même dans une lute contre la clôture textuelle. A cet égard, Domenico Jervolino a bien marqué l'importance de la fonction de refiguration exercée par les textes au plan de l'agir humain effectif. C'est à la faveur de ce procès de refiguration que la critique textuelle vient se réinscrire au coeur même de la philosophie de l'acction, que je considère moi aussi comme la grande envelope de toute investigation langagière. Ce qu'on vient de dire sur l'echange entre tradition et utopie (dans et par le texte) trouve son équivalent dans la philosophie de l'histoire sous forme d'echange entre ce que Koselleck appelle espace d'experience et horizon d'attente. Enfin on ne saurait parler d'herméneutique si on ne replaçait le processus d'interprétation à l'interieur de la relation entre texte et lecteur. A cet égard une critique de la lecture fournit un élement de rèponse à l'objection majeure de Dussel selon laquelle la relation producteur/produit enveloppe la relations auteur/texte. On oublie dans ce court-circuit le vis à vis que constitue un lecteur critique susceptible de questionner la pertinence de l'équation précédente et de dénoncer la relation de domination que se dissimule dans le processus de transmission et de tradition. Le phénomène le plus important à cet égard n'est pas tant l'inscription dans l'écriture, autrement dit le devenir texte de l'action, mais la relation critique de lecture, qui rend possible le devenir action du texte . Ce devenir action du texte reconduit l'herméneutique à l'éthique, plus précisément à une éthique qui donne une place centrale au phénomène de l'altérité. Je permets ici de signaler qu'il y a place pour plusieurs philosophies de l'altérité: assymétrique pour Lévinas, réciproque pour Hegel. Il y a également place pour plusieurs figures de l'altérité: la corporéité, la rencontre d'autrui, l'écoute de la conscience morale intériorisée. Il y a aussi plusieurs figures d'autrui: autrui comme visage dans le face à face, autrui comme le chacun de la relation de justice. J'accorde bien volontiers que ces figures de l'altérité et ces figures d'autrui viennent se résumer et culminer dans le moment d'altérité où l'autre c'est le pauvre. C'est ici que je rencontre et écoute le philosophies et les théologies de la libération.